Long Poem Translation of Marilyne Bertoncini

By and | 1 February 2020

SABLE

à ma mère
 
sachez donc qu’allée et venue
sont comme des songes,
comme des reflets de la lune dans l’eau

–Yogi Milarépa

Je n’ai nul souvenir de l’avenir,
dit-Elle

La mer respire
lente changeante
expire et lèche le rivage
où la marée laisse imprimé
un humide trémail

J’y pose à plat le filet à crevettes –
grises et vitreuses comme le sable
elles gigotent entre les mailles et les plis
prises dans le croissant du carrelet
et s’échappent entre mes doigts d’enfant

le sable aspire ma cheville
aspire ma mémoire
l’empreinte de mon pied s’emplit d’un éclat de miroir
minuscule
et la vague suivante l’engloutit et remporte
les algues rejetées du filet
les poulpes transparents
et les méduses glauques


Chaque vague soulève à grand-peine
une nappe emporte
la trame des mots
l’efface et seule reste une trace
mémoire de sable

crissant glissant soie
au cri déchiré
menus murmures comme
des pas d’oiseau
la dentelle des coquilles vides
sur la grève l’arène ourdie de temps

lourde draperie de dunes et d’estran
plis sur plis où se dissout le vent
du souvenir


Drapée de dune
Elle se dresse en-deçà de toute
absence

Sable

et la dune dessine le reflet de la lune
en son dernier croissant

Prisonnière des sables la lumière paillette
sourd des dunes d’or gris contre l’océan glauque
comme d’une pupille ouverte sur le vide

Femme-sable
effaçable
dont la trace
se dissout
dans le léger tourment soulevé par le vent
au flanc de la colline

gaze d’or palpitant aux caresses
océanes
comme son pas de danse dans les plis ondoyants
la faille et le satin
d’une jupe de fête


Fable de la Femme Sable
Flamme de cendre sous mes pas

âme fantôme

Elle
s’épuise en pure perte
et l’or d’Elle s’écoule
tandis que palpitantes murmurent

balbutiantes les paroles


O corps de Danae enseveli sous l’or
du désir sable devenu

meuble et fluide manteau instable
là pénètre la dissout
flamme palimpseste
d’elle-même

dans l’éternel inchoatif des nues qui passent en reflet
des dunes grises de la mer et des vagues de sable

les pas sans fin s’enchaînent
sans fil sans trace


La dune mime l’océan
les nuages y dessinent de fuyants paysages
dont l’image s’épuise dans l’ombre vagabonde
d’un récit ineffable

et femme Sable nage dans un ciel de centaures
à l’envers
où sa robe poudreuse ondoie dans les nuages

sa bouche ouverte dans le sable
crache la cendre de ses mots
flocons arrachés au silence
dans la mer où
peut-être

puis se noie et se perd en rumeur indistincte

Commencements


la tête de Sable à peine effleure la surface
le sable dans sa bouche l’étouffe comme un baillon

s’accroche aussi à ses cheveux
réseau de mèches racinaires qui s’étirent
tressées de giroflées couleur de violette

se mêlent à l’orgue des oyats
réverbèrent le silence immense
de son cri

de son absence


Elle est allongée comme la dune aussi
nue
ses pieds touchent la mer

et les mains de Sable racinent
s’allongent
elles s’allongent sous le sable
écrivent les liserons rampants
la bugrane épineuse aux fleurs de papillon

le mandala de l’espérance
chemin barbelé vers
la sortie du labyrinthe
de solitude et de souffrance

et Sable ouvre ses yeux-fleurs
blêmes comme un ciel de plomb
étoiles mortes et inversées
battues par le vent sidéral

et la bouche d’Elle sans cesse tente
le cri qu’étouffe toujours
le sable qui volète


Effacement – ce ment – ça bleu
les sables meubles et sans traces
et la femme sans face sang

scintillement salé des dunes littorales
nude nues denudate
reflet dans les nuages qui s’effilochent se défont
se délitent délaient
se dissolvent
s’effacent
sans force

Elle veut naître
être n’être rien de plus
mais l’ogre de sable-ocre dévore sa parole

Le souffle de la femme
Eve sans lèvres sans bouche
sous le baillon
soulève à peine d’infimes tourbillons près de ma tête
cuisant dans la lumière des cistres et de l’iode


Lovée au creux des dunes
le nez contre le sable humide à peine sous
les touffes de carex
comme au creux d’une aisselle au parfum minéral
intense et fade dans la mémoire
caresse rêche animale et poudreuse

je sais qu’Elle respire
de nous de notre rire

je déboule dévale le long du flanc de Sable
et la dune s’écroule émue de son écume sèche

je déboule dévale du giron de la dune
et ma main écorchée à sa couronne barbelée

saigne couleur de rouille sur l’éclatant
cristal
de silice

Je suis fille de Sable
mais les mots
m’appartiennent

Je crie
J’écris
Sable

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