Deux romans, un conte et un recueil poétique: Mariotti multiplie les genres pour relayer la parole océanienne. Mais alors que contes et romans semblaient annoncer une production dense et soutenue – à raison d’une publication par année – le premier recueil publié en 1935 inaugure une période de silence relatif. Il vient d’aborder la nouvelle également publiée dans plusieurs revues. Mariotti est physiquement diminué, ce qui le contraint à ralentir ses activités littéraires, c’est-à-dire: ses recherches documentaires au Musée de l’Homme à Paris. Depuis 1933, il occupe un emploi de moniteur de loisirs qui l’amène chaque été sur l’île d’Oléron où il retrouve un lien avec son île natale, car « la légende veut que Henri de Rochefort ait été détenu [ … ] quelque temps dans ce petit fort avant sa déportation » (Prisonniers du Soleil 143). Il y a rencontré son ami Roger Richard, alors jeune aspirant poète de 16 ans. C’est le futur directeur de la revue Les Cahiers des Poètes qui publie les premiers poèmes de Mariotti en 1935. Cette parenthèse se ferme aux débuts de la Guerre en 1939, l’année où paraissent ses Contes de Poindi. Il a également un autre manuscrit achevé: celui du roman À bord de l’Incertaine dès 1937. À bord de l’Incertaine est d’abord refusé par les éditeurs qui lui préfèrent les contes à travers lesquels, Mariotti a, semble-t-il, bâti sa réputation. Il avait déjà démontré dans Takata d’Aïmos (1930), sa volonté de contourner les clichés et les pièges de l’exotisme; « donner à voir », plus qu’à traduire, une pensée autre, un autre sentiment du monde. Mariotti est mobilisé. Il cesse de se rendre à l’île d’Oléron dès 1939 pour participer à des actions de résistance. Il est arrêté en 1940 sur la ligne Maginot, emprisonné au stalag de Fallingbostel jusqu’en 1942. Grâce à la un réseau infiltré de Résistants, il parvient à s’évader en simulant des problèmes de santé. Mariotti est un « évadé légal », ce qui lui permet de se consacrer à nouveau à la création. Il publie cette même année son roman À bord de l’Incertaine (une première édition illustrée suivie d’une édition standard). À bord de l’Incertaine est un roman hanté par le rêve du pays natal. La guerre, l’expérience du stalag semblent en être absentes ; ceci pourrait être justifié par le fait que le manuscrit date de 1937. Pourtant, le motif de l’emprisonnement est bien présent à travers l’école où ces enfants ne peuvent rêver d’évasion qu’en contemplant l’épave d’un navire …
L’expérience a été épuisante, sûrement traumatisante, mais nous ne saurions affirmer qu’il y a une déception chez le poète. Dès Tout est peut-être inutile, il avait déjà exprimé son incrédulité quant à la vocation civilisatrice occidentale. En 1947, Mariotti rentre pour la première fois dans son île, après près de vingt-cinq ans d’absence. Il continue d’écrire: principalement des contes, et remanie des nouvelles rédigées en captivité. Inédits, ces textes seront publiés à titre posthume en 1996 sous le titre Prisonniers du Soleil. À son retour en France en 1948, il publie les Nouveaux Contes de Poindi. Le cycle de Poindi a, en effet, assuré sa renommée littéraire, mais répond-il uniquement à une demande du public ? Cherche-t-il à découvrir un pays qui semble s’éloigner de plus en plus?
L’évidence est que l’expérience de la guerre en a profondément modifié sa perception de l’histoire. 1953 est l’année du centenaire de la colonie française de Nouvelle-Calédonie. Mariotti qui n’a rien publié depuis les Nouveaux contes de Poindi en 1947, reçoit une commande du Conseil Général de Nouméa. Le succès du cycle de Poindi l’a consacré comme écrivain attitré de l’île. Il s’agit de présenter la colonie du Pacifique à la France et aux jeunes générations calédoniennes (le livre est édité à Paris par Horizons de France). Son but est « de rappeler – ou simplement faire connaître – qu’il existe dans le Pacifique Austral une image paisible et fidèle de la France. Des hommes courageux ont, depuis cent ans, œuvrés à cette création. Le rappel de leurs efforts ne sera pas vain » (Le Livre du Centenaire). Simple promotion touristique à priori, qui aurait pourtant une dimension littéraire. Mariotti propose en effet sa vision de la Nouvelle-Calédonie. C’est une vaste métaphore: une projection où l’on croise des piroguiers maori en pleine Méditerranée – véritable lien entre les deux origines de l’auteur. L’hommage de Mariotti est, néanmoins, plus complexe, plus nuancé, compte tenu de ses rapports avec la culture kanak. Engagé à l’ORTF, Mariotti se consacre à l’enregistrement d’audiogrammes de contes et en 1959, il publie son dernier roman Daphné. Les années 1960 sont celles d’une retraite paisible marquée par la publication du recueil Sans titre en 1966. Après avoir assisté Ludmilla dans la maladie en 1974, Jean Mariotti disparait l’année suivante (le 23 juin 1975). Son rapport avec la Nouvelle-Calédonie a pu paraître ambigu ; trop petite, trop mesquine, trop éloignée pour stimuler sa créativité, elle a pourtant habité toute son œuvre. Un de ses premiers poèmes, rédigé dans la solitude et le froid de Paris suffit à nous éclairer sur l’Océanien que fut Mariotti:
Quand l'âcre odeur du soir, De la ville mouillée, monte aux toits de Décembre. Quand la rue souillée pleure au long des trottoirs Des sanies qui engluent. Quand la bise aigre, rasant les murs, se rue avec furie Transportant en longs couloirs Les senteurs rances De Paris qui fricotte la tambouille du soir Je songe à mon Océanie ... (Sans Titre 144)
S’il vous plaît lire les traductions en anglais de ses poèmes.
From the archives of College University of New York