La ville de ses livres d’enfance ne le déçoit pas: folie, féerie, démesure s’offrent à son regard. « (C)hanger de lieu, c’est changer de misère », voici peut-être résumée la quête lyrique de Mariotti: il s’agit de quitter l’étroitesse et la mesquinerie de la vie coloniale, mais quitter également les paysages de l’inspiration poétique pour trouver la grisaille et le terne de Paris, en même temps que la grandeur des temples du savoir; musées, bibliothèques, salons littéraires, etc. Car l’auteur évolue dans un intervalle, imprévu du processus colonial, qui lui apparaît avec acuité au moment de se rendre vers l’embarcadère de Thio, l’avant-poste vers la France. La vie à Paris est précaire, il est d’abord manutentionnaire, avant d’être embauché comme employé aux écritures des Éditions Hachettes en septembre 1924. Il a déjà abandonné ses ambitions de peintre, il pense désormais à écrire. Il rencontre également Ludmilla Karjinska, sa future épouse, issue d’une famille immigrée de Russie. Un nouvel emploi de secrétaire auprès d’un exploitant de caoutchouc, plus stable et mieux rémunéré lui permet enfin de se consacrer plus sereinement à l’écriture de son premier roman. Nous sommes en 1926, il a achevé son service militaire en février, et épousé Ludmilla en octobre. Il met le point final à son premier roman en mars 1926. Édité par Flammarion, Tout est peut-être inutile se retrouve dans les librairies parisiennes en 1929. La critique ne sait quelle étiquette lui apposer: écrivain régional, poète, conteur, marin, aventurier, peut-être ethnographe … Car, Mariotti se distingue d’emblée par cette démarche qui consiste à interroger les certitudes du monde colonial. Il interroge surtout cette parenté imprévue, surtout non désirée avec le « sauvage »; ces ténèbres que le colon s’est pourtant évertué à faire reculer, mû qu’il était par sa mission civilisatrice et son désir de profit. Le poète s’interroge désormais sur cette présence « sauvage » en ce qu’elle le fait « tressaillir » et élargit son imaginaire. Le manuscrit de Takata d’Aïmos est achevé en août 1927, puis édité par Flammarion en 1930. Ce récit légendaire tribal répond aux attentes d’un public parisien qui s’apprête à accueillir sa Grande Exposition Coloniale.
Remords, troisième roman publié en 1931, pourrait être considéré comme une vaste méditation sur la représentation du bagnard dans l’histoire de la colonisation de la Nouvelle-Calédonie. Baudoux, en tant que fils d’un fonctionnaire de la Pénitentiaire, en faisait déjà une « figure de l’interférence » dans la symbolique coloniale en ce qu’il contredisait l’image idéalisée du pionnier. Dès l’arrivée des premiers Transportés en 1863, l’Administration insistait sur cette idée de « réhabilitation » par la colonisation. Justement, Mariotti est, en partie, issu de cette « réussite ». En effet, son père, ancien forçat, est devenu propriétaire d’une caféière et membre du conseil municipal de La Foa. Mais l’écrivain a choisi d’observer, de consacrer un roman aux « perdants » de la Transportation; ceux frappés irrémédiablement par le sceau du crime. Un conteur des îles du Pacifique arpente donc Paris, c’est du moins la stature acquise avec les publications de Tout est peut-être inutile et Remord. Mais c’est également l’heure des grandes douleurs, celles qui appellent les profondes mutations: son père disparaît en 1927, la douleur est immense de ne pouvoir retrouver l’île pour un dernier hommage. En 1930, un accident le contraint à une convalescence qui lui permet d’approfondir la connaissance de ce pays rêvé qu’est la France. La santé de son épouse Ludmilla décline à partir de 1931 (année où elle est hospitalisée) et sa mère, à qui il avait dédié son premier roman, décède en 1934, avec, toujours comme regret, celui de ne pouvoir regagner le pays. Tout se révèle plus fragile, plus instable autour de lui; une impression que le séisme de la Seconde Guerre Mondiale ne fera que renforcer. C’est dans ce climat qu’il publie son premier recueil poétique en 1935. Il s’intitule sobrement Nostalgie, exprime avec pudeur les doutes et les douleurs de l’exil.