Poém, Sans Bouger
I
Dans les limites du possible, la mer. Mais déjà, par ce désir de houle et d’air, comme un mieux, une respiration un peu plus large.
Engluée dans l’été, une ville de province, qu’importe son nom, loin dans les terres immobiles. Et la mer, là-haut, vaste, plein nord, attend.
Un bocal de sable gris : rien d’autre pour retrouver son chemin. Le plus souvent cela suffit : un bocal de sable et quelques grains grossiers restés au bout des doigts ou sur la table : on rassemble ces miettes en petits tas, et si la mer ne vient pas sur la table, elle n’est pas loin, appelée par le sable – peut-être dans le sable encore un mouvement – il suffit de ne plus voir.
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Une pincée de sable et la mer revient dans le corps, tout le corps, à partir de la main.
Pas un souvenir, une houle faite des vagues vues, perdues de vue, un reflux d’images fondues, mêlées… De mémoire une vague vient sur le devant de la tête – passé virant désir – une vague de tête va retomber, on la sent qui retombe, limite de l’image, dynamique aussi, ce creux de muscle, très vite, retombée.
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Autre jour, ici, une nouvelle plaque de ciel et cela recommence, bleu morne, plat calme, l’été. Baissant. Inertie. Tête molle sous le bleu et l’air lourd.
Wimereux, Ambleteuse, Slack… noms de lieux, certes, quoi d’autre que des noms, sans l’eau?
campagne rase ville tassée
lourde forêt de chênes dans un coin
décidément
un manque d’air
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Ici, sans mouvement. On se tient au frais, à l’intérieur, volets clos.
L’été dehors continue : chaumes.
Au nord la pluie serrée, grise, la digue et l’odeur d’algues. Trempé.
Ou bien la mer plate et, assis dans un creux de sable, une joue de dune, laisser la mer remuer, ressasser, loin devant.
Ici, la chaleur sur la ville tasse un peu plus les maisons déjà bien rangées basses, avec leurs toits d’ardoise qui brûlent. Le corps s’écoule. On rêve d’être au ras d’une eau profonde, de voir l’épaisseur de son vert sombre, qui resserre l’œil. Etre sur l’eau, dormir presque dans le muscle frais, lové dans ses fibres serrées, claires.
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Falaises dans l’œil : couleurs sans éclat, dominance des bruns, des ocres, des beiges sales. Histoire d’une terre cassée là, tranchée net : la mer, au pied, bat lente. Patience d’une main qui passe, et use. Comme la limite d’un corps, la naissance d’une peau. Masse de verts, masse de bruns, l’une inerte, l’autre mouvante, se limitant, se contenant, voilà à peu près ce qui vient dans les yeux en regardant sans voir le court jardin, par la fenêtre.
la mer contre
l’été
Bien peu de prise en fait sur ce qui se passe dans l’œil. Une image se superpose au dehors jusqu’à l’annuler : elle est presque muette sinon un bruit de clapot, léger, loin dans le silence de la maison.
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Mer bien sûr chevelure, tresses dénouées boucles lourdes déliées lente traîne de méduse, tant d’aisance, respirant l’eau. Ondulation, palpitation, cheveux mouvants, feuillage vaste… L’image s’éloigne, dérive hors de portée.
Un paysage au large : ce qu’on ne peut saisir, embrasser. Mer informe, masse neutre, mouvante. Revient l’image de la méduse, sa longue suite de cheveux fins.
Boucles d’écume bruissante.
Varech, goémon, tignasse morte.
Algues vertes, cheveux courts libres, agités dans l’épaisseur de l’eau. Mots d’enfants revenant à travers ces algues souples dans l’eau claire. Courants, longs muscles invisibles que l’on saisit quand le corps les rencontre : un froid brusque, une tiédeur.
Ici revient, s’impose plus nettement, ce qui est vécu là-haut comme un désordre amoureux, une jouissance confuse.
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La mer sans prise. Obstacle.
Étrangement, aucun désir de franchir. Un arrêt sans souffrance. Indifférent, et pourtant bloqué net.
Le mur, la mer.
Contact-court-circuit, là.
Était-ce l’énergie qui portait ? La mer a effacé l’été : elle s’efface maintenant, se perd parmi les forces. En tête reste un espace neutre, à peine balisé de pieux.
Trajet étrange, comme si l’image était sortie de l’œil sans que la ville pour autant revienne, ou le jardin de même, dehors.
II
qu’importe le nom de cette ville
loin dans les terres immobiles
l’été la tient
ferme
une rue jusqu’au ciel
et le soleil
plaque au sol
au bas de cette rue
vide
on attend
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vient le vent d’abord
et le sel dans l’air
puis l’eau
les mots sans bruit
dans l’eau profonde
en tête la houle
soulève un berceau vaste
et la mémoire pèse bouge lente
houle de mémoire
muette image mouvante
les mots la mer
plient
la rue le ciel
l’été ploie
//
une vague l’autre
efface
le cœur se calme
et le cœur devient d’air
dans l’ondulation lente
l’eau verte
ici
nulle part
pas plus loin les mots comme
le souffle
denoué au large
dans l’eau et l’air
libre
//
lente est la nuit qui vient
et repose la ville
reflux
on se rassemble
la rue est bleue