Marilyne Bertoncini’s ‘The Night of Lilac’

By and | 1 August 2014
La Nuit de Lilas


Frisson de l'aube qu'appelle
le chant d'un oiseau

                        si bleu
            si plein

qu'à l'entendre on pense aux forêts cachées sous les jardins enclos derrière les maisons

            si plein
                        si clair

qu'il libère d'antiques frondes agitées de souffles d'outre-monde

            Nageur            inconscient
                j'aborde aux grèves du silence

et le chant ténu m'accompagne comme d'Orphée la flûte dans l'ombre souterraine

                        filet couleur d'étoile
                        du roseau dont la voix

                             ouvre l'huis
                             de la nuit


*
Entre lavande et lie-de-vin sous la paupière de la nuit ciliée de songes amande d'améthyste dans sa bogue étroite avant qu'une silencieuse explosion n'expose sa chair vive à travers la sombre écorce craquelée l'espace d'un cillement ciselant le ciel mille et un petits calices cruciformes couleur de paon de plume d'hirondelle de pigeon gris Appel aux guêpes ivres du petit jour ronzio che precede la prima ora del mattino dont déjà le vol ronfle autour de la fontaine avant l'étincelant le plain-chant du matin
*
Phosphorescence d'où jaillit une écume vineuse tôt figée en efflorescences de quartz dans sa veine de lave d'obsidienne Rives dentelées de la plaie où verdit le ciel comme brûlé avant d'atteindre sa couleur ultime de fleur de lin dans le matin limpide Flamme où l'éther à la terre se mêle grisaille en demi-teinte submergeant le vert âcre des menthes et des sauges le chèvrefeuille au goût de miel et de beurre rance son nard ardant les torches tôt roussies Tel insaisissable et subtil le souvenir Lilas Lumineux noyau de la nuit
*
J'ai vu tes yeux, Leyla, dans l'ombre du volet Tandis que s'enroulait la voix des tourterelles Dans le matin couleur de leur plumage rose Le soleil au reflet de la vitre s'est pris Pour se jouer de moi La voix qui me torture est semblable à la tienne Lorsque joyeux ton chant s'élève à la fontaine Murmure frémissant comme l'eau jaillissante Mais l'oiseau au collier dans un battement d'ailes A chassé l'illusion Et je t'ai vue, Leyla, comme une ombre t'enfuir A travers le verger bondissant Dans les voiles légers des nuages de mai Mais le vent qui passait faisait danser les branches Et rien de toi, ici, ce matin n'est resté
*
Lilas Babil des puériles rondes et des comptines Lacets et rets qui me lient et m'enserrent Mazes and laces Lacis et entrelacs Arabesque de branches cachée sous les feuillages Labyrinthe secret où se perd la mémoire en quête de soi-même Léger voile de perse comme un chiffon de soie Grillage d'étamine où le récit de l'ombre se blute et danse la solaire écriture de la mort Couleur de la Passion tes grappes que l'on presse souples boucles du lilas de mon enfance ses mille bouches odorantes comme une âme qui fond contre ma bouche même Dans la sérénité des soirs tandis que roucoulent les colombes et que les fifres des cigales retentissent dans les jardins couleur d'if Et de lierre Ailleurs Silencieux et bleu brasier d'étoiles Dolce sorella nella mia lingua segreta
*
Claire ou trouble suivant les jours Nuit-Femme dans le jour Vert Pour Majnûn ravi Oubli au creux gris de la nuit Pépin de grenade
*
Après l'éclair de magnésie éblouissant des torches de lilas brûlant l'aube le bleu d'ozone du jour clair virant au noir comme la pellicule inversant le réel sous les mille lames vertes les mille vipères couvrant l'arbre et sa foudre du mouvant manteau de leurs écailles souples menteuse parure couleur d'algue et de grotte marine Est-il plus scandaleuse absence que la tienne Leyla qu'entretiennent au jardin les jaseuses fontaines les roses larmoyantes sous la glauque paupière des tonnelles envoûtées et la tarière aiguë des insectes au soleil
*
Chaque fois que ton nom lui déchire le coeur Comme un envol d'oiseau Mon azur s'obscurcit d'une égale douleur Chaque fois que le vent en imitant ta voix Humecte sa paupière Palpitante mon âme te nomme en son soupir Et si ton corps parmi les ombres se dessine La folie qui l'entraîne est ma folie Aussi Et la nuit seule alors répond à nos désirs.
*
Là terrains vagues ondulés à l'infini de nos regards d'enfants la Zone s'entourait des ceintures de jardins ouvriers découpés précis et colorés comme les dessins d'un tapis persan alignant leur damassure potagère rehaussée de l'éclat carmin des tulipes ou des bouquets d'or et l'argent des soucis et des cinéraires Là à la marge en lisière des rêves de la ville on poussait une porte geignante grinçante de guingois le treillis des clôtures saignait sur l'habit des dimanches et l'on était ailleurs dans l'écartèlement d'allées moussues qui myosotisent entre les tiges griffues du désespoir-des-peintres au rose de bruyère et aux grêles ombelles Tout au fond caressant la cabane aux outils et la vieille citerne la douceur des aspérités crêpelées de l'arbre-fleur son indéfinissable présence trouant le ciel le pulsatile éclat gris organisant les parcelles du Jardin devenu roue autour de ce moyeu
*
Leyla La mémoire est comme le tambour des pâtres Et tant elle résonne Et s’enfle la douleur Et les mythes deviennent les souvenirs Et tu es le tambour Et le pâtre Et le monde Et ma douleur qui chante O Leyla Tu es l'éclat pers qui soulève la paupière du ciel Et le chant des oiseaux Et le rhombe qui fait se lever le soleil Et tu es chaque soir la main qui tout étreint La froide flamme qui s'éteint Et laisse nue La Nuit
*
Sur la blancheur du drap sombre branche noueuse à l'écorce ridée le bras tendu porte la corolle de la main crispée dans un ultime geste de labeur ou de don comme la fleur de magnolia avant qu'elle ne tombe Dur sous la peau usée translucide comme les lunaires ocelles de la monnaie-des-papes l'arbre des veines vit encore couleur d'ardoise L'arbre mauve dessine l'ultime broderie pour la main qui tordait les soies L'inlassable noueuse tissant les merveilles du jardin perdu.
*

Innocence de l'aube pruinée de la rosée des rêve où l'on ignore encore l'oiseau en cage sur la façade aveugle où frappe le soleil.




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