La Nuit de Lilas
Frisson de l'aube qu'appelle
le chant d'un oiseau
si bleu
si plein
qu'à l'entendre on pense aux forêts cachées sous les jardins enclos derrière les maisons
si plein
si clair
qu'il libère d'antiques frondes agitées de souffles d'outre-monde
Nageur inconscient
j'aborde aux grèves du silence
et le chant ténu m'accompagne comme d'Orphée la flûte dans l'ombre souterraine
filet couleur d'étoile
du roseau dont la voix
ouvre l'huis
de la nuit
*
Entre lavande et lie-de-vin
sous la paupière de la nuit ciliée de songes
amande d'améthyste dans sa bogue étroite avant qu'une silencieuse explosion n'expose sa
chair vive
à travers la sombre écorce craquelée
l'espace d'un cillement ciselant le ciel
mille et un petits calices cruciformes
couleur de paon
de plume d'hirondelle
de pigeon gris
Appel aux guêpes ivres du petit jour
ronzio che precede la prima ora del mattino
dont déjà le vol ronfle autour de la fontaine avant
l'étincelant
le plain-chant du matin
*
Phosphorescence d'où jaillit une écume vineuse tôt figée en efflorescences de quartz
dans sa veine de lave
d'obsidienne
Rives dentelées de la plaie où verdit le ciel
comme brûlé
avant d'atteindre sa couleur ultime de fleur de lin
dans le matin limpide
Flamme où l'éther à la terre se mêle
grisaille en demi-teinte submergeant le vert âcre des menthes et des sauges
le chèvrefeuille au goût de miel et de beurre rance
son nard ardant les torches
tôt roussies
Tel
insaisissable et subtil
le souvenir
Lilas
Lumineux noyau
de la nuit
*
J'ai vu tes yeux, Leyla, dans l'ombre du volet
Tandis que s'enroulait la voix des tourterelles
Dans le matin couleur de leur plumage rose
Le soleil au reflet de la vitre s'est pris
Pour se jouer de moi
La voix qui me torture est semblable à la tienne
Lorsque joyeux ton chant s'élève à la fontaine
Murmure frémissant comme l'eau jaillissante
Mais l'oiseau au collier dans un battement d'ailes
A chassé l'illusion
Et je t'ai vue, Leyla, comme une ombre t'enfuir
A travers le verger bondissant
Dans les voiles légers des nuages de mai
Mais le vent qui passait faisait danser les branches
Et rien de toi, ici, ce matin n'est resté
*
Lilas
Babil des puériles rondes et des comptines
Lacets et rets qui me lient et m'enserrent
Mazes and laces
Lacis et entrelacs
Arabesque de branches cachée sous les feuillages
Labyrinthe secret où se perd la mémoire en quête de soi-même
Léger voile de perse comme un chiffon de soie
Grillage d'étamine où le récit de l'ombre
se blute
et danse la solaire écriture
de la mort
Couleur de la Passion
tes grappes que l'on presse
souples boucles du lilas de mon enfance
ses mille bouches odorantes comme une âme qui fond contre ma bouche même
Dans la sérénité des soirs
tandis que roucoulent les colombes et que les fifres des cigales
retentissent dans les jardins
couleur d'if
Et de lierre
Ailleurs
Silencieux et bleu brasier d'étoiles
Dolce sorella
nella mia lingua
segreta
*
Claire ou trouble suivant les jours
Nuit-Femme dans le jour
Vert
Pour Majnûn ravi
Oubli au creux gris
de la nuit
Pépin de grenade
*
Après l'éclair de magnésie éblouissant des torches de lilas brûlant l'aube
le bleu d'ozone du jour clair
virant au noir comme la pellicule
inversant le réel
sous les mille lames vertes
les mille vipères couvrant l'arbre et sa foudre du mouvant manteau de leurs écailles souples
menteuse parure couleur d'algue et de grotte marine
Est-il plus scandaleuse absence
que la tienne
Leyla
qu'entretiennent au jardin les jaseuses fontaines
les roses larmoyantes sous la glauque paupière des tonnelles envoûtées
et la tarière aiguë des insectes au soleil
*
Chaque fois que ton nom lui déchire le coeur
Comme un envol d'oiseau
Mon azur s'obscurcit d'une égale douleur
Chaque fois que le vent en imitant ta voix
Humecte sa paupière
Palpitante mon âme te nomme en son soupir
Et si ton corps parmi les ombres se dessine
La folie qui l'entraîne est ma folie
Aussi
Et la nuit seule alors répond à nos désirs.
*
Là
terrains vagues ondulés à l'infini de nos regards
d'enfants
la Zone
s'entourait des ceintures de jardins ouvriers découpés précis et colorés comme
les dessins d'un tapis persan
alignant leur damassure potagère rehaussée de
l'éclat carmin des tulipes ou des bouquets d'or et
l'argent des soucis et des cinéraires
Là
à la marge
en lisière des rêves de la ville
on poussait une porte geignante
grinçante
de guingois
le treillis des clôtures saignait sur l'habit des dimanches
et l'on était ailleurs
dans l'écartèlement d'allées moussues qui myosotisent
entre les tiges griffues du désespoir-des-peintres au rose de bruyère et aux
grêles ombelles
Tout au fond
caressant la cabane aux outils et la vieille citerne
la douceur des aspérités crêpelées de l'arbre-fleur
son indéfinissable présence trouant le ciel
le pulsatile éclat gris organisant les parcelles du Jardin devenu
roue
autour de ce moyeu
*
Leyla
La mémoire est comme le tambour des pâtres
Et tant elle résonne
Et s’enfle la douleur
Et les mythes deviennent les souvenirs
Et tu es le tambour
Et le pâtre
Et le monde
Et ma douleur qui chante
O Leyla
Tu es l'éclat pers qui soulève la paupière du ciel
Et le chant des oiseaux
Et le rhombe qui fait se lever le soleil
Et tu es chaque soir la main qui tout étreint
La froide flamme qui s'éteint
Et laisse nue
La Nuit
*
Sur la blancheur du drap
sombre branche noueuse à l'écorce ridée
le bras tendu porte la corolle de la main
crispée dans un ultime geste de labeur
ou de don
comme la fleur de magnolia avant qu'elle ne tombe
Dur
sous la peau usée translucide comme
les lunaires ocelles de la monnaie-des-papes
l'arbre des veines vit encore
couleur d'ardoise
L'arbre mauve dessine l'ultime broderie
pour la main qui tordait les soies
L'inlassable noueuse tissant les merveilles
du jardin perdu.
*
Innocence de l'aube
pruinée de la rosée des rêve où l'on ignore encore
l'oiseau
en cage
sur la façade aveugle
où frappe le soleil.
Marilyne Bertoncini’s ‘The Night of Lilac’
By Jan Owen and Marilyne Bertoncini | 1 August 2014
Pages: 12
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